Les solitaires de Nouadhibou

Je suis parti en Mauritanie, à Nouadhibou, travailler sur le tournage du film d’Abderrhamane Sissako, « Hérémakono ». Rapidement, les difficultés avec les autorités et la censure perturbent le tournage qui s’arrête et reprend…Pour moi cela signifie beaucoup d’attente, et du temps libre. Je m’absente donc régulièrement entre les prises, je me promène dans Bagdad, le quartier où l’on tourne.
Au début je n’arrive pas à photographier, dans la rue, les regards sont durs. Alors dans cette ville où le temps ne compte pas, je décide moi aussi de prendre le mien, je sympathise avec les figurants, je rencontre les habitants du quartier : des maures, mais aussi beaucoup de sénégalais, des maliens, des gambiens, des guinéens…
Nouadhibou est une ville d’étrangers, on y vient pour gagner un peu d’argent avant de partir vers un ailleurs. C’est une ville d’exil tournée vers l’océan avec le désert dans le dos.
Je crois pouvoir passer de l’autre côté du miroir et comprendre cette ville. Mais avec les vents de sable, les certitudes s’envolent comme les détritus, les boîtiers s’enrayent et les idées aussi. J’ai la sensation que chaque image chasse l’autre, un peu comme ce jeu du solitaire où les pions s’éliminent mutuellement. Finalement je m’allonge, je prends le thé, à l’abri du vent, du soleil et de sa lumière blanche. Et je me sens seul comme tous les autres ici dans cette ville, ça doit être le désert.